posté le 26-10-2010 à 12:40:46

A fleur de peau.

 

 

 

 

Ce soir, la nuit est rouge.

 

 

Mon amour revient vers toi, boomerang fragile et hésitant, arme bâtarde mais qui connaît sa cible.

Âme gercée, boursouflée, enflée de tous ces soupirs vains, tous ces désirs que je n’ai jusqu’alors jamais pu assouvir.

 

Passion...Je voudrais découvrir toutes tes béatitudes idiotes à ses côtés, et m’endormir dans la tiédeur délicieuse de ses abîmes laiteux.

 

Mirage palpitant dans ma tête et doucement vacillant, oscillations frénétiques, tes membres enlaçant compulsivement mon corps décharné, je deviens un polichinelle ridicule auxhanches vermeilles. Serre-le, ce vulgaire paquet complexe de nerfs et de frustrations, pour calmer le feu qui le consume et ronge de ses flamboiements redoutable son enveloppe à fleur de peau. Fais-toi violence pour attiser cette foudre exaltante qui m’électrise, et retranscris à ta guise sur ces pages vierges l’histoire d’une ivresse exceptionnelle à conquérir. Car seule ta chair saurait éveiller les élans fougueux de la mienne, gorgeant d’un extraordinaire concentré passionnel la jauge déjà bien remplie de mes émotions nouvelles.Seules tes mains, protectrices émérite et gardiennes de mon bien être,sauraient sécuriser mon âme des douleurs affligeantes qui la menacent, et inspirer des rêves enfiévrés à mon être scindé entre brûlures subtiles etfrissons suaves, découvrant ainsi des plaisirs étranges et puissants.

 Seule ta voix pourrait raviver l’appel à l’éveil de mes sens, frémissant sous les vibrations profondes de ce son magique et pénétrant.

 

Me voilà bourreau de tes sens,  prêcheuse de la démesure, égaréeà mi-chemin entre les eaux tumultueuses de la béatitude et du délire désespéré,là où s’expriment ces sentiments extrêmes qui marquent ma peau de leurs stigmates imbéciles.

 

Mais tous ces mots incompris,ces murmures témoignant de ma faiblesse face à la véhémence  de tels ressentiments ne sontque poussière dans l’épaisseur du silence, chimères désespérées, idéalisations pour accepter ton absence. Je redoute tant que tu m’échappes…

Mais j’espère, parce que je ressens.

J’espère, car un bagage de rêve me suit dans toutes mes aventures, plus ou moins heureuses et romancées. De ce sac à malice, j’extirpe costumes de lumière et masques de faïence pour déguiser cette réalité qui est la mienne, et pimenter ma vie. Abracadabra ! Je deviens la magicienne des illusions défendues, la bohême de la vérité travestie, sublimée par les couleurs de l’imagination infinie et du secret.

En un claquement de doigts, je parcours les méandres inextricables de l’âme et respire aveuglément les parfums de l’impossible et de l’exquis insaisissable, m’enivrant des effluves nouvelles de mes désirs les plus intenses…

 Je mets en scène chaque instant qui n’existe pas pour pouvoir quand même y goûter et mieux le savourer, dissimulant la réalité sous une couche de douceurs épicées pour cacher l’ennui et la peur du néant. Je me joue des ombres chinoises dans l’exquise pâleur d’une lumière tamisée,imaginant des silhouettes étranges et rieuses qui s’allongent et se tordent de plaisir, tandis que dans l’abîme double de mon cœur et de ma conscience,l’angoisse de la solitude, la peur de voir ta silhouette s’éloigner et la menace sournoise des ombres prêtes à m’avaler me serrent les entrailles et me déchirent la peau.

A cause de toi, mon existence connaît de douloureuses entraves. Amnésie du bonheur. J’ignore maintenant toutdes senteurs de l’insouciance et de l'éclat lumineux d'un rire d'enfant qui seperd, léger, dans un ciel sans nuages. J'ai oublié la fraîcheur innocente, ne sachant plus pour unique fragrance que celle de ta chair ancrée dans mes jeunes narines béantes, avides de ses arômes, de ses notes riches et capiteuses, de sa sulfureuse senteur.

J’ignore tout de ces mélodies enjouées que je chantais jadis à gorge déployée, au profit de la morne ritournelle qui tourne, tourne, et bouleverse un cœur sous hypnose amoureuse.

J’ignore tout, et plus encore,de ces mille et une contrées inexplorées qui faisaient jadis miroiter à mon esprit assoiffé de contes et de rêveries vaines une multitude de trésors, et livrerais aujourd'hui ma personne toute entière à un Dieu inconnu, pour pouvoir seulement découvrir la plus modeste de tes richesses. Tu es ce délice interdit,ce fruit juteux tombé de l’arbre céleste dans lequel je mordrai à dents pleines,mon pêché mignon, une exquise pourriture que j’effleurerai du bout de mes lèvres vénales et userai infiniment de mon regard, si seulement je le pouvais.

 

Aurais-tu seulement envisagé le trouble que tu pouvais semer dans la candeur d’un cœur novice, qui ne connaît de l’amour que sa frivolité et ses enfantillages?

Marquerais-tu la fin de ces badineries insensées et le terme de ma fraîcheur fantaisiste de jeune fille,enflammant d’une passion absolue, adulte et incendiaire ces jupons vaporeux et légers de jouvencelle ? Sonnerais-tu solennellement le glas de mon insouciance ?

Sais-tu, superbe corrupteur,que tu as fait fusionner au sein même de mon être les affres sentimentales, et le feu des sens dans un corps à corps endiablé?

 

Te rends-tu seulement compte de la douleur que cela peut engendrer de se sentir brûler de l’intérieur ?

 

 

Emilie. 

 

(Ecrit le 17 Septembre 2009) 

 

 

 

 


Commentaires

 

1. Fanny39  le 26-10-2010 à 11:52:18  (site)

A l'amour!

2. horizon66  le 04-11-2010 à 10:11:39  (site)

Bonjour, vraiment c'est beau ici, bravo.

 
 
 
posté le 25-10-2010 à 11:55:16

Meurtrissures.

                        

Dehors, il pleut…

                        A l’intérieur, c’est l’orage.

 

Crissements, hurlements,fracas. Stupeur à l’extérieur.

Le verre se brise et la fumée explose !

Les couleurs se mélangèrent,quelque chose heurta ma boîte crânienne,brutalisa mes neurones. Puis tout disparut.  Incroyable ! En un instant, tout s’était évanoui. 

Tout mon corps fut soudainsecoué d’un extraordinaire sursaut. Mes yeux s’ouvrirent alors en un battement rapide, tandis que mon cœur, éprouvé, peinait à retrouver son rythme habituel, que je savais si profond et imperturbable. Jamais je n'avais connu un réveil aussi brutal. Égarée et à la recherche de repères, je constatai avec effroi que tout était noir… D’un noir absolu, parfaitement opaque … Victime d'une angoisse inexplicable, je sentis bientôt une indicible frayeur vaincreles barrières de ma conscience et compromettre mon self-control. Porte-parole effroyable de tous ces appels à l’aide prisonniers de ma gorge,  ma respiration ronflante s’accentua alors et comprima ma poitrine endolorie, tandis que des hurlements atroces résonnaient dans mes oreilles,papillonnant de l’une à l’autre et se distordant, brutalisant mes tympans et mon cerveau.

 

« Pitié, dites-moi… Où diable suis-je atterrie ? Serait-ce ça, l’enfer ? »

 

Heureusement, je sentis bientôt que l'horreur s'estompait peu à peu.

Ma main affolée et aveugle,dans un ultime élan de panique, parcourut avec hésitation les froides aspérités de la tapisserie, trouvant enfin le bouton magique qui allait révéler la véritéet mettre un terme à ces abominations.

Lumière. Et soulagement aussi.

 

Je reconnaissais bien cette pièce, ses teintes poudrées, son charme ancien, ainsi que ses odeurs profondes de fleurs séchées et de bois verni. La faible lueur qui baignait son espace se diffusait en légers rayons ambrés, pailletant le voluptueux satin prune des mes draps et projetant au mur la silhouette de mes meubles,découpée en ombres sensuelles et délicates. Merveilleuse enchanteresse sublimant un rien de cet irrésistible éclat flavescent, la lumière éblouissait et apaisait. Tout était figé, mais tranquille. Cet endroit constituait mon havre de paix dans un monde de brutes, et se voulait imperméable aux violences du dehors. C'était le cadre idéal d’une nature morte semblable à nulle autre pareille, contenant en son sein l’essence précieuse d’un fragment d’automne immortel, captif entre quatre murs.

Rassurée, je constatai que ce charmant boudoir tout en tiédeurs obscures et pâleurs subtiles où je me complaisais avait retrouvé son aura ordinaire, délivré de l'étouffante empreinte des ombres.

 

Je distinguais même à nouveau,se mêlant au chaos sonore du dehors, le tic tac uniforme mais rassurant du magicien immobile, les faibles rumeurs mécaniques de cet immense colosse de bois au pendule d’or, ayant appris les cantiques du temps qui passe et sachanttoutes les facéties des minutes et des secondes. Mon regard se tourna donc en direction de l'ultime détenteur du temps qui passe, noble porteur de la vérité la plus cyclique qui soit. C’est alorsqu’il me révéla solennellement de ses deux doigts de métal la réalité éphémère inscrite sur son visage pâle.

 

Il était seulement 3 heures.

 

Etonnant. Mais je m'en remets à son constat. Car il sait tout, lui. Il ne peut être dupé par les ruses de l'univers et est intouchable, lui qui applique strictement la loi du cycle et la politique la plus exacte qui soit. Monseigneur L'Horloge est la droiture incarnée et il punit l’inexactitude, empêchant strictement aux lendemains de se libérer de son emprise inextricable. Sage et réconfortant, il semblait murmurer à mon oreille aux aguets :"Tout va bien".

Et j'aurais voulu le croire àn'importe quel prix. Après tout, il ne peut pas mentir...

 

Pourtant,j'ai si peur...


D'ailleurs, le chaos extérieur s'est invité chez moi sans même me prévenir. Quelqu’un hurle à s’en décrocher les poumons. Paris est vraiment très agité aujourd’hui…Et matinal, aussi. En tout cas, il s’éveille à sa façon. Mais nul doute là-dessus: tout ceci ne présage rien de bon.

 

A ce moment précis, une impulsion improbable que j’appellerai « La Peur » allégea mes jambes,lourdes comme le plomb, et mepoussa jusqu’ au salon. Je me trouvais maintenant devant la fenêtre, confrontée à son quadrillage de métal gelé et à ses lignes strictes. D’un mouvement convulsif, mes bras brisèrent l’harmonie austère, dissociant les sévères etsolides frontières transparentes qui s’ouvrirent en un craquement léger,dévoilant ainsi la détresse dissimulée derrière un véritable rideau d'épaisses fumerolles malodorantes.

 

Vous savez, ces bouffées écoeurantes, ces vaporeuses silhouettes ondulantes, toutes ces fumées diverses qui parasitent l’atmosphère, je ne les connais que trop, malheureusement. Jeles respire, les aspire et les expire. J’existe avec elles, ce sont mes tristes compagnes urbaines, les fantômes ordinaires de la vie citadine qui partagent mon quotidien.

Pourtant, ce soir, elles me chagrinent, parce qu’elles ont changé. Je les trouve différentes, encore plus malsaines, sordides, vêtues de leur funeste robe noire, et fardées d’effroi. Parce que ces vulgaires catins, ce soir, ont décidé de s’amuser. Elles se déguisent en danger, endossent le rôle des messagères funèbres, ne tenant aucunement compte de la gravité de leurs espiègleries. Femmes fatales éthérées et sans scrupules, elles séduisent le firmament enfiévré, exhibant leurs jupons charbonneux et agitant leurs traînes déchiquetées dotées du plus macabre des éclats. Nul doute là-dessus, ce soir, les demoiselles toxiques se déchaînent et jouent aux jeux interdits. Mais elles ne sont pas les seules, non. L’ondée est aussi de la partie, mêlée à cette lugubre célébration de son plein gré.Rejetée par le ciel, vicieux et vengeur, elle erre et rampe langoureusement sur le macadam luisant, enfilant la plus étrange, la plus abjecte des parures, fluide et d’une brillance écarlate.La voilà métamorphosée en une monstruosité aqueuse des plus perturbantes…

Et je le regarde cet infâme serpent liquide, je le vois ! Oui, je le vois bien se frayer sournoisement un chemin entre les rainures des dalles glacées et abreuver le sol de son puissant venin morbide… Et je ne peux détourner mes yeux de ses courbes affreuses, je ne peux pas,je le vois, il est là, et il rit, je le devine, son rictus écœurant, et je donnerais tout pour m’enfuir, TOUT.

D’ailleurs c’est incroyable,regardez comme il s’étend, sinueet s’allonge ! Voyez les trésors de souplesse qu’il déploie pour semouvoir, voyez comme il sillonne le boulevard, arpente le goudron gelé et sème l’épouvante… Ne trouvez-vous pas qu’il semble presque invincible ? N’avez-vous pas vous aussi cette inquiétante sensation qu’il ne rompra jamais... ?


 

En dépit du dégoût que je ressentais pourtant, mes yeux ne purent se décoller de cette terrifiante vision et demeurèrent totalement scotchés au sillon noirâtre que laissait derrière elle l’ignominie.

 

Encore un peu plus haut, ne détourne pas le regard, il faut que tu saches. Tu y es presque, vas-y…

J’y suis.

 

STUPEFACTION !

 

Glacée. Je suis véritablement GLACEE. Prise d’une raideur subite et d’un frisson exécrable que j’ignorais jusqu’alors. J’imagineque c’est en fait cela, « La Peur », la vraie, l’opportuniste sans-gêne qui s’immisce sans crier gare, bouscule toutes les protections morales et se joue de notre équilibre. Tout à l’heure, c’était encore différent. Une "anticipation du terrifiant", j'imagine. Probablement un avant-goût de ma tétanie actuelle. Car vous savez, elle n’est auparavant jamais venue me trouver avec une telle amplitude, une telle puissance. J’ai atteint le paroxysme d’une sensation unique que je ne souhaite à personne. Comprenez, j’ai vu l’impensable :

Deux squelettes métalliques,tout ce qu’il reste des géants mécaniques, à la carcasse cabossée et écaillée.Des bris de vitres parsemés au sol, vulgaires cristaux bruts qui recrachent la lueur crue des gyrophares. Mais je crois qu’il n’existe aucun son pire que la plainte assourdissante des sirènes qui braillent, hurlent d’horreur et semblent crier au secours.

 

Et sous les colosses d’acier,une masse de serpents rouges liquéfiés gisait au sol. Mais cette fois, ils ne bougeaient pas. Ils étaient comme inanimés. Une matière molle et blanchâtre paraissait les écraser. Pourtant, c’était eux qui émanaient d’elle.  Elle semblait lourde, cette substance, consistante, mais vide au demeurant. Cette matière là m'était familière. Mais pas sous cet aspect là. Car ici, elle était couverte de meurtrissures et avait pris une teinte grisâtre.

 

Et j'ai compris.

 

L'enveloppe défaite d’une poupée fraîche et rayonnante, plus vivante que jamais il y a à peine quelques heures de cela se livrait crûment et sans pudeur à mes yeux. J'eus l'extrême désarroi de constater qu'elle était à présent réduite en un simple polichinelle tout désarticulé, le spectre de son éclat dissolu à jamais dans les airs. C’est incroyable comme tout peut basculer en un rien de temps.

J’étais en face à face avec le destin, directement confrontée à cette ordure, qui venait de me dérober maman. Tout est de sa faute.

 

Réaction ? Néant.

Le silence le plus total, leplus effroyable qu’il soit.

Mais le malaise, tapi dans l’ombre poisseuse de mon ataraxie, attendait le moment adéquat pour se déclarer.

Soyeux et délicat, il commença à glisser le long de ma carnation,ruissela de mes yeux et épousa tout mon corps, fusionnant avec ma chair pour meconférer une seconde peau immuable, noire et nacrée, d’une nitescence lisse et dégoulinante.

Il était sensuel, ce malaise que je sentais monter en moi et qui me submergeait, il était sensuel, ce tourment que je transpirais partous mes pores. Si sensuelle et autodestructrice, cette sensation qui metransportait…

 

Instinctivement, semblable à une machine rouillée, je trouvai dans un accès de désespoir la force de me diriger vers l’immense armoire, impassible et fière, qui se tenait devant moi. Je me sentais petite. Toute petite. Minuscule, ridicule. Anesthésiée par ma propre douleur et à demi consciente de mes mouvements, je m’emparai d’un verre,que je remplis furieusement d’un liquide qui captivait mes yeux voilés. Bien que trouble, ce fluide d’une rousseur subtile que je faisais ondoyer captait les quelques lueurs de la ville en deuil discontinues et confuses, se parant d’une élégante robe dorée. Dans cette brillance floue, cet éclat ambré, cette mouvance fluide, je reconnaissais la toute sainte figure féminine perdue: Je tenais entre mes mains crispées la représentation absolue de la plus divine des chevelures, celle de ma mère! A travers la teinte de cette liqueur magique,  je revoyais onduler dans les airs la légère soie mouvante de ses cheveux, d'un délicieux fauve-doré plus éclatant que le Soleil lui même. Dans ma démence intérieure, je pouvais presque sentir cet or tendre glisser entre mes doigts, se dérober, m'échapper. Mais je ne voulais pas le laisser s'enfuir! Mes mains le retenaient fermement, mes narines le respiraient de toutes mes forces, espérant s'enivrer encore de son subtil parfum capiteux si caractéristique que je savais par coeur!  J’aurais juré que ma mère était là, si vous saviez ! Tout semblait si réel que je n'aurais presque pu croire à une illusion...!

Et pourtant, la vue me renvoyait l'exact reflet de la réalité, atroce et traumatique. J'aurais souhaité être privée de mes sens afin d'effacer de moi cette image, inscrite au fer rouge dans ma mémoire, cette vision nette et obsédante d’une femme enveloppée dans un plastique noir inanimée sur le goudron, parmi les bris de verre et la tôle froissée !

Et résonnant bruyamment dans la confusion de mes pensées en une note criarde, le son grinçant, épouvantable d’un mot se répéta à l’infini,sautant, grésillant et s’emballant, à la façon d’un vieux disque rayé :« Ma mère est MORTE ! M-O-R-T-E ! Morte ! »

 

Engluée dans l'épaisse fange de ma détresse, j'avais pleinement conscience que cette phrase monstrueuse subsisterait à jamais dans mon cerveau sous la forme inévitable d'un poids bien trop lourd à porter.

 

4 heures et demi.

 

Le salon était plongé dans l’obscurité. Seules les lueurs du dehors éclairaient faiblement, et par petites parcelles la pièce muette, hantée par la seule présence impassible des ombres informes du mobilier. Alors que je m’approchais en titubant de la table et m’asseyais péniblement, un bruit cristallin retentit. Le verre s’était brisé à l’intérieur du salon, libérant à jamais l'alcool sur le sol. Ma main l’avait laissé s’échapper.

Et l’ultime souvenir se répandit sur le parquet, avec une mollesse tragique.

 

J’eus alors l’horrible sentiment d’avoir bafoué quelque chose de précieux, d’avoir brisé à tout jamais ce qui la faisait revivre un instant à mes yeux…

Responsable de mon dernier chagrin, je laissai la furie me gagner, et me pousser à l'inimaginable.

Mes lèvres fiévreuses embrassèrent le verre gelé de la bouteille et en engloutirent brusquement le contenu. Une brûlure virulente saisit ma gorge et tortura mes viscères, mais j'allais mieux. A la fois punie et repentie, je pouvais à présent sentir renaître en moi la plus vénérable des défuntes. Rien n'aurait autant pu me combler. Car ce fut comme si j'eus porté ma mère en mon sein, à travers le chaud réconfort artificiel de l’alcool.

 

5 heures.

Tout commença à tourner autour de moi, tout s’anima dans un brouillard vacillant. Il faisait nuit noire, et pourtant, les faibles lueurs des phares et des lampadaires, pénétrant les austères stries noires de mes stores,vinrent clignoter dans mes paupières. La perception floue qui parasitait mon cerveau détraqué ne tentait même plus de se muer en une image nette. L'alcool, mon vicieux compagnon, m'aidait à me mentir volontairement, rejetant avec violence mes tentatives de retour à la raison et fermant à jamais les volets dema conscience. Grâce à lui, l’illusoire remportait haut-la-main sa laborieuse lutte contre une réalité insurmontable, contre cet « impossible » que je m’efforçais de nier.

 

L'hallucination, c'est merveilleux.

Je me voyais près du sommet des plus hauts immeubles de la ville, libérée comme jamais. En équilibre sur une corde, l’air fouettant vivement ma peau, je flottai allègrement au dessus des immeubles et percevai à peine les vrombissements sourds des automobiles. Rien n’aurait alors pu m’atteindre, tant je me sentais immortelle et inhumaine. La Cruelle Capitale etmoi fusionnions. 

 

Et comme une funambule instable perdue dans un univers crépusculaire et joliment vicieux où le noir danse et le mal-être flamboie, j’évoluais, sans même m’en soucier, sur le fil inconstant de l’équilibre mental...

 

C’est alors que cette héroïne du bitume que j’étais devenue, survolant les toits des entités de béton aux mille reflets mouillés telle une virtuose urbaine, se propulsa gracieusement dans les airs, s’abandonnant ainsi au plus intense des vertiges des sens, à la plus déroutante des actions, avec une fragilité fabuleuse.

 

5 heures 30

Retour dans l’appartement. Vide de toute vie.

Mon corps, je crois, s’était effondré, laissant mon visage heurter avec violence la table. Mes cheveux, algues souples d'ébène, flottaient sur le bois verni jonché de nouveaux serpents empourprés enfin libérés de leur prison, tandis que ma nuque nue offerte à l’abat-jour, suppliait la chaude étreinte du faible faisceau de la lampe avant l'hiver éternel.  

5 heures 35

Mutisme inaltérable et quiétude imperturbable dans la grande salle.

L’appartement avait, en seulement quelques secondes, changé de propriétaire.

Cet être, ce singulier personnage muet portait un nom.Il s’appelait « SILENCE »

Et je n’avais jamais connu quelqu’un d’aussi profond que lui.

De toute façon, il fallait bien trouver un nouveau résident…

…Car cette nuit-là, maman a fait l’amour avec la mort…

 Et… Moi aussi.

 

Emilie.

 

(Ecrit le 17 Septembre 2009) 

 

 


Commentaires

 

1. VousEtMoi  le 25-10-2010 à 10:25:50

C'est avec plaisir que je repasserai découvrir tes mots.
Bonne journée

 
 
 
posté le 14-08-2010 à 12:06:17

L'homme Nicotine

 

 

Un soir de Juillet, 1 h00 au compteur. Monsieur Le Jour s’est enfui comme un voleur. Son élégante complice a débarqué. Robe de velours, paillettes et venin, la beauté fatale et dramatique d'une étoile... du cinéma. Mais derrière ce charisme troublant, rien que deux voyous. Deux malfrats qui se relaient, un couple d'irréductibles silencieux. Au commencement, c'est LUI. Ce mystérieux homme blond, parfait illusioniste qui nous charme, subtilise nos sourires et s'enfuit. Puis c'est ELLE qui prend le relais, l'étrange demoiselle vêtue de noir, c'est elle qui s'infiltre chez nous à pas feutrés et décompte de ses élégantes mains gantées les instants restant avant son règne définitif. Des Bonnie & Clyde modernes inversés qui dérobent notre éternité à travers leur rituel, nous rappellant combien nous sommes mortels, et à quel point 24 heures peuvent nous rapprocher de la terre.

Fenêtre grande ouverte sur rue.

Le décor habituel : Lueurs nettes des enseignes commerciales et couleurs antinaturelles d’un monde verre, béton et fumée. Vrombissement cadencés de quelques mobiles carcasses d’acier qui se meuvent péniblement, troublant d’une rumeur régulière la semi-léthargie nocturne du quartier. Spectacle routinier du cœur urbain en somme, qui a ralenti son rythme et se prépare au sommeil. Il ne souffre pas d’insomnies, lui, le chanceux. Mais moi, Morphée n’est pas encore venue me trouver. D’ailleurs, je crois que ce soir, elle ne viendra pas. Elle a dû m’oublier, et est probablement allée bercer au creux de ses tièdes bras d’opale d’autres corps plus épuisés que le mien. Tant pis alors… Je laisserai les secondes et les minutes faire l’amour entre elles. Histoire de voir les heures bourgeonner, mourir et se succéder…

 

 Me voilà assise sur le froid rebord de la frontière, entre le calme plat de la pièce chargé de lourds soupirs et la vie mise en veille au dehors. C’est comme si je devenais à mon insu une partie du décor. D’ailleurs c’est troublant. Tout ici semble coincé entre la cloison étroite d’une existence « mise sur pause » et celle du néant. Mon corps, bien qu’englué dans une attente visqueuse et figé dans ce corridor inconfortable, s’est finalement résigné, demeurant suspendu aux lourdes ficelles d’un temps ralenti, mis sous anxiolytiques, tout démuni et angoissé qu’il était. On aurait cru que tout ce qui m’entourait avait été dépossédé de sa substance. Un peu comme si quelqu’un avait aspiré mon souffle pour ne laisser que la matière. Pour me rendre statue. Même mon chat se tenait là, immobile et stoïque, les paupières mi closes…

C’est ça, je suis l’objet d’une blague du temps. A croire qu’il choisit ses moments… Mais au bout d’un moment qui peut prétendre échapper au vide ? Comment se reconstruire, ployé sous le tas de ruines d’un terrain désormais vague, comment renaître sur un sol en perpétuelle déconstruction ? Que sommes-nous, sinon des fleurs fanées qui s’essoufflent dans l’asphalte ?

Comment, dès lors, prétendre à un futur quelconque?

 

D’ailleurs, je voudrais que mes semblables sachent quel danger les guette, j’aimerais leur faire part de ma découverte pour les sortir de l’illusion…On fait toujours tant l’éloge de la vérité… Ce serait une occasion de vérifier une fois pour toutes si elle est toujours bonne à dire!

 

Tiens, c’est décidé. Si je le pouvais, je prendrais un mégaphone et hurlerais à plein poumons : « Oyez oyez, braves gens ! Réveillez-vous, on va droit dans le mur ! »

Où est le mal là dedans? J’informerais simplement la jeunesse qu’elle n’a pas d’avenir. Juste comme ça, sur un coup de tête.

Pour que l’on s’y attende. Pour se faire à l’idée.

Et peut-être histoire… de réécrire notre histoire. Tant qu’il en est encore temps.

 

D’ailleurs, en ce qui me concerne, je ne doute pas seulement de notre avenir à tous, mais aussi de mon présent. Je me sens si pétrifiée, que j’ignore même si j’existe encore… Résignée, renfrognée, morose. Bulle de déprime dans la caboche. Plus de ressentiment, plus de bonheur, plus d’envie, plus rien du tout…

 

Comme si elle avait entendu mes revendications silencieuses, une brise légère vint titiller mes sens engourdis. Osant pénétrer toute cette pesante statique, elle réinsuffla le mouvement à ces minutes de marbre. Elle me frôlait, caressait doucement mon corps brindille, et pourtant, j’eus l’impression qu’elle me brisait les os, battait le sang dans mes veines et glaçait mes nerfs. Je ne doutais pas de sa bienveillance… Néanmoins, mon retour à moi-même fut douloureux. Mais comment lui en vouloir… ? La pauvre, elle n’avait pas vu combien j’avais mal, l'angélique petite bouffée légère, elle voulait seulement jouer avec moi et me redonner le sourire... Peut-être pensait-elle que ce mal n'était qu'un caprice...? 

 

 Et elle poursuivit son parcours. Magique et intrépide, elle s’engouffra doucement dans mon salon pour ranimer tout ce qu’elle touchait de son éther sucré, gonflant de son chaud soupir si caractéristique, évocateur des lourdes nuits d’été, les deux voiles pendues à leur potence de fer forgé qui occultaient la transparence indiscrète de mes vitres. Captivée par le spectacle, je me surpris à regarder fixement les ondulations gracieuses du tissu pendant de longs instants…

 

D’ailleurs, c’est incroyable. Ce même flottement, je le ressens toujours. Mon cœur tangue, encore et encore, incessamment. Les océans en moi sont salis et salés. Je les sens se découper en vagues anguleuses, m’entraînant dans un balancement solennel, dans un mouvement de chagrin. Ils me donnent la nausée et le vertige. J’ai le mal de toi comme on a le mal de mer.

Pourtant, je n’ai pas la force de détourner mon regard… Ni la volonté, d’ailleurs.

 

 Je t’aime ! Tu comprends, à la fin ?

 Mais là… je ne veux plus. TU M’EPUISES. Tu le sais, ça ? La mascarade a bien trop duré.

 J’en peux plus de courir après des « peut-être », je suis fatiguée de mes incertitudes et de ces doutes que tu laisses planer. Tout ce que je veux, c’est faire disparaître de mon alphabet les lettres de ton nom. C’est tout ce que je désire aujourd’hui. Pour pouvoir passer à quelque chose de plus constructif que des sanglots, et éradiquer cette fichue obsession envahissante qui étouffe mes envies et mon énergie.

 

Dommage. Pour l’instant, je ne suis pas guérie de toi. C’est une chair vide et désarmée que je traîne, et qui s’écroule avec indolence dans le sofa.

Masse flasque, lamentable poids mort sur l’épaisseur moelleuse qui s’affaisse peu à peu, je tente de me faire avaler par ce sable mouvant. Mon désir le plus fou à cet instant précis ? Me confondre au cuir souple pour ne plus avoir conscience de l’espace-temps qui s’étrique et se distord tout autour en un mouvement vertigineux et continu, plus arrogant que jamais dans son mutisme imbécile et annonciateur de l’impitoyable vacarme du rien qui me pend au nez. Au final, cette perspective me fait même miroiter quelque chose de honteusement plaisant. L’espoir de disparaître, ne serait-ce que symboliquement.

Disparaître pour ne plus rien sentir. Plus de passions. Le bonheur d’une ataraxie, d’une VRAIE, sans vague à l’âme aucun. M’effacer pour ne plus avoir peur, et oublier qu’en ton absence, je ne fais plus sens. Que sans toi, je ne fais plus sens du tout.

 

 

Dans l’état actuel des choses, je crois que j’aurais pu passer des heures à me morfondre, sans rien faire, et me laisser aller pitoyablement, j’aurais pu plonger à corps-perdu dans le malaise en envisageant toutes les possibles « surprises » que me réserveraient cet avenir fumeux sans toi, englouti sous des débris de pierre et enterré dans le macadam huileux. Mais… je peux aussi laisser faire le temps. Je peux prendre un malin plaisir à enrober mon amour dans la granulosité dégueulasse de ce goudron grossier, puis le laisser pourrir pour voir ce qu’il en advient. Après tout, à défaut de s’étendre, il finirait bien par s’éteindre. Oui, je pourrais bien m’adonner à cet « acte barbare », pour soigner le mal par le mal, et voir si ladite méthode tient ses promesses. Mais rien n’est sûr. Et dès lors, à quoi bon, si c’est pour que subsiste sur cet infâme sol noir luisant la trace insistante d’un chewing-gum prémâché, ruminé cent fois, qui a fini craché avec dégout à même le sol, laissant derrière lui son sillon sale, collant et vaguement élastique des années durant ? A quoi bon remuer le couteau dans la plaie si le résultat n’est pas garanti, et si le risque de ressortir dans un bien pire état est important ? C’est quitte ou double.


Consternant, n’est-ce pas ? Mais c’est ainsi, et après tout, c’est « marche ou crève ». Je me pollue pour tout détruire. Ne me blâmez pas ! Tant bien que mal, j’essaie de me sortir de là. Il faut parfois prendre des risques, savoir être radical.

D’une manière ou d’une autre, il me faut oublier tout ça. Et même plus… Passer l’éponge, tirer un trait, tourner la page, en finir avec cette image…Tout ce que vous voudrez, mais oublier, un tant soit peu. M’occuper l’esprit, de me divertir… M’abrutir même !

 

Heureusement, pour ça, j’ai trouvé la solution : La super-héroïne Télévision est là pour m’assommer devant ses images animées pleines d’une lueur épileptique et atrophier mes neurones. Quelques heures devant elle et je deviens végétal. Un vrai légume, un authentique ! Quel intérêt, me direz-vous ? Eh bien voilà, j’avoue, je me voue à son pouvoir hypnotique pour me réfugier ailleurs que dans ma peau et faire taire mes angoisses. Pour me fuir à moi-même, en somme. Ah ! Que ferai-je sans elle ?

Louez avec moi le temps béni de l’ère médiatique qui nous divertit de notre enfer intérieur. Rendez avec moi hommage à l’entité des temps modernes, la divine « Télévision » !

 

Mais vous savez, cette fois, je me suis rendue compte qu’elle n’est pas toute puissante. Croyez-en mon expérience.

Car il est des afflictions (bénignes certes, mais récurrentes        … !) qui la surpassent et rendent son pouvoir parfaitement transparent. Reléguée au second plan, au rang de simple « spectateur », ses effets s’effacent alors au profit de ces satanées pensées tenaces qui martèlent notre cerveau. Si l’aura de l’incroyable cube magnétique est immense aujourd’hui encore dans nos sociétés, et si son influence croît de jour en jour, elle ne peut cependant lutter contre le poids de ce qui nous hante au plus profond… Je pensais oublier un peu grâce à elle, ce soir, me laisser avaler dans sa spirale de couleurs, de sons et de mouvements… Mais ça n’a pas fonctionné. Tiens, le remède magique est finalement bien imparfait…

C’est pourquoi ce soir, je passe un appel désespéré.

« Jeune fille troque froideur lumineuse contre un peu de chaleur…

Echange Anesthésie Mécanique Tapageuse contre Intime Réconfort Humain »

(Mais… pas n’importe lequel…)

 

Comment ça ? C’est impossible ? Quel rabat-joie !

 

Tant pis, je me résigne. Et tout compte fait, pourquoi diable aurais-je besoin de dépendre de quelqu’un ?

Tiens, un célèbre adage pour la route. « On n’est jamais si bien servi que par soi-même »

Compris ! On ne m’y reprendra pas deux fois ! Si je ne peux déceler ni transport dans l’intensité brune de ton regard perçant,  ni chaleur dans ta voix ou au creux de ton corps, alors je la ferai naître du bout de mes doigts. J’ai décidé de m’en foutre.

Suffisent un cylindre de papier, un briquet, et cette substance au parfum miellé imprégnée d’une légère amertume, qui lorsqu’elle se consume, laisse son empreinte olfactive si spécifique sur ma peau et mes cheveux. Cette odeur, je la reconnaîtrais entre mille tant elle m’appelle et m’écœure à la fois. Je la hais et je l’adore, elle incommode mes narines mais fait vibrer mon cerveau et tourner ma tête.

Aucun respect pour moi-même ? Oh, Pardon. Je préfère abîmer mon corps plutôt que mon cerveau. Mourir est plus tentant que devenir fou. Oui, c’est faible, c’est lâche, ce n’est pas beau ! J’entends déjà l’écho de votre voix résonner dans ma tête, partisans de la morale, individus « parfaits » si bien-pensants qui connaissent tout mieux que tout le monde. Mais voilà, ça me regarde. J’ai pleinement conscience de ce que je fais : Je joue à ça pour faire passer le temps. Il paraît que c’est « le remède à tout », alors je veux bien vous croire… Tiens, je bois vos paroles, même. Ca fait du bien de tout accepter en bloc, et de ne pas faire passer une idée reçue par l’épreuve de son jugement, de temps en temps. Je voulais me mettre en veille, mais je ne peux pas, ce n’est pas bon pour l’économie d’énergie. Alors j’arrête un moment, je fais une pause. Appuyez à nouveau sur le bouton quand ça sera un peu moins chaud là dedans, sinon ça ne tiendra pas longtemps.


Et hop ! Ca se rallume. Le moins que l’on puisse dire, c’est que mon répit aura été de courte durée. A l’évidence, mon autorité mollassonne ne suffit ni à clarifier les choses, ni à me faire entendre. Et vogue la galère ! C’est maintenant le moment du « Contre mea culpa ». Car après tout, si j’en suis là aujourd’hui c’est en partie de ta faute, ça crève les yeux ! Je suis passée d’un paroxysme à l’autre, j’ai connu tour à tour l’extase et l’horreur, le désespoir, la déception surtout. Voilà ce que ça donne, de trop titiller mes pauvres nerfs. T’es-tu bien amusé… ?

 

…Ou… (La voilà, la fameuse alternative qui vient signaler la fin du Contre mea culpa…)

 

Regrettes-tu de m’avoir fait mal à ton insu, en raison de ton silence et ta timidité ? T’en mords-tu les doigts aujourd’hui ? M’as-tu déjà oubliée… ? Mystère sur ce qu’il en est réellement.

 …Les sentiments humains sont si compliqués qu’il est normal que chacune de nos certitudes s’étiolent devant quelque chose d’aussi incertain et mouvant. Dès lors, difficile de ne pas s’acoquiner avec Madame la Paranoïa.

 

3 heures 30.

Brume en dedans. Tenter de revivre ou me laisser crever ? Active ou Passive ?

Il est impossible pour moi de clarifier mes idées, de prendre du recul sur la situation et de tenter de comprendre tes agissements. Surtout dans le capharnaüm intérieur que je me crée. Je crois que mon corps s’est découvert une vocation de « cendrier » Tout mon être est fait de fumée de cigarette. C’est d’ailleurs à travers cet âcre miasme gris sale que mon cerveau se complait et apprend à s’accomplir sans toi.

Pourtant, dans l’épaisseur chimique, sèche et suffocante, tout ressurgit. Ce vicieux brouillard que j’ai dans la tête occulte le moindre soupçon d’espoir qui pourrait subsister pour focaliser ma perception sur mon affliction affective. Il décuple mon obsession et déchaîne mon addiction, la dotant de surcroît d’un infâme pessimisme poisseux. De toute façon, la douleur disparaitra par la douleur. Mes souvenirs et ma palpitante peau moite imbibée de toi, toute agitée de spasmes car en manque de tes soupirs et de ton souffle seront bientôt imprégnés de l’odeur sèche et mordante du tabac froid. Demeureront seulement des bribes mortes de nous et un vague regret dénué de toute saveur, qui empesteront l’air de nos sentiments devenus si blafards et humides. Je consumerai nos rires et chacun de nos actes dans les cendres rougeoyantes de ma colère, pour que s’évanouisse l’envie que j’aie de toi et l’amour que je te porte. Tu sais, elles ne ratent (presque) jamais leur cible, ces cendres là. Car vicieux et impitoyables, les fatals bris brûlants savent comment raviver la douleur que j’ai enfoui à l’intérieur, pour tenter de mieux la réduire à néant. Je sens parfois leur ardente empreinte dévorer peu à peu les fragiles images déchirées et pâlies encore imprégnées de nos sueurs et de nos parfums que j’imaginais en vain et tentais  de constituer péniblement.

S’y substitue dès lors une odeur douceâtre de papier grillé, au bout de mes ongles et dans mon cœur cellophane…

 


Et un jour peut-être resteront seulement, comme des cicatrices monochromes, les vulgaires mégots poivre et sel, témoins poussiéreux de ma transformation, de ma cure « anti-toi » par autodestruction.

 

Je n’ai trouvé de meilleure alternative jusqu’à présent, que d’étouffer mon corps pour rendre muets mes peines et mes regrets. Je n’ai trouvé d’autre moyen que de m’étourdir avec cette âcre poussière pour anéantir la perception de ton parfum, et me débarrasser enfin de ce maudit fantasme olfactif qui m’obsède. Je n’ai trouvé d’autre solution que de perdre mon regard vide dans l’insignifiant ballet des fumerolles pour oublier les courbes de ton visage. Je n’ai trouvé d’autre choix que d’atrophier mes sens pour ne plus rien ressentir, ni douleur, ni espoir.

Jamais je ne me serais figuré que le syndrome du manque puisse être si intense. D’ailleurs, je crois que finalement rien n’y fait. Mon addiction personnelle a encore augmenté. J’aurais tout essayé.

 

Je vais m’overdoser, jusqu’à en être écœurée. M’overdoser de ce cylindre de papier « goût « Je m’abîme » ». M’overdoser de ces moments perdus pour accepter. Pour entrer dans ce coma réparateur, dans cette ivresse libératrice. M’overdoser pour te rendre, t’extraire enfin de moi.

M’overdoser de ma dépendance première, m’en rendre malade pour me forcer à me sevrer.

M’OVEDOSER DE TOI, mon amour d’homme-fumée, insaisissable et sensuel, à en avoir assez, à en éprouver une ivresse véritable.

 

Emilie

 

 


 
 
posté le 13-08-2010 à 11:29:09

Le téléviseur mental de Sylwia.

 

 

 

 

 

Ce soir, Papa et Maman ont ENFIN vu que la télé ne marchait pas bien…Elle était toute déréglée. Ils ont fini par s’en rendre compte… Au dernier moment, lorsqu’il était déjà trop tard.

Ce n’était pourtant pas faute de leur en avoir parlé avant. Ces temps-ci, je me rendais tout à fait compte que quelque chose n’allait pas, que les couleurs étaient fades, étranges. Ca me gênait énormément de voir tous mes dessins animés ternis, pâlis par cette espèce de brume translucide légèrement blanchâtre voilant chacun des petits points colorés constituant les images de mes charmantes émissions. Je leur ai très souvent répété, à mes parents… Mais quand on est un enfant, nos appels et nos constatations ont moins d’impact. Dans la société actuelle, les grandes personnes sont pressées et n’écoutent plus. Pourtant, quand j’aborde l’épineux sujet et pose la question qui fâche, j’ai droit à la réponse évidente et mille fois bavée de leur bouche. L’automatisme se déclenche. C’est alors comme si mes adorables géniteurs n’étaient que des robots mal huilés qui rabâchaient sempiternellement une phrase issue d’un mauvais enregistrement. Un vrai propos réchauffé, parfois même reformulé à toutes les sauces. «  Tu comprendras qu’il y a des choses plus importantes, quand tu seras un adulte. On n’a pas le temps de s’occuper de ça maintenant, et puis ce n’est rien. » Une excuse facile à laquelle on veut donner plein de sens en restant très lacunaire, parce qu’en vérité, tout ceci n’est que de la fumisterie. Ou de la poudre aux yeux, appelez ça comme vous voulez. Mais du fin fond de mon « petit » cerveau d’enfant, je pense qu’il y a un temps pour tout, et que si on veut, on peut. Bien sur, Papa a beaucoup de travail. Mais une fois rentré du bureau, après avoir été l’ours en peluche tendre et avide de caresses que j’aime tant, il se mue en une créature glaciale, mutante et égoïste. Cette facette là, croyez-moi, elle est exécrable. Et le rituel est le même, tous les soirs… Il enfile ses pantoufles, et lit des magazines imbéciles ou le journal des heures durant, portant de temps à autres à ses lèvres gercées et demandeuses d’un peu de chaleur la petite tasse en porcelaine  par un geste maladroit, de son épaisse main de velours légèrement recroquevillée. Puis, il exige le silence. Et moi, je déteste ce moment là. Pour tout vous dire, ces horribles pantoufles, ce café trop amer et ces torchons de papier, je les désintègrerais, les brûlerais dans les ardeurs violentes de mon dégoût, les ferais voler en un million de confettis poussiéreux, si je le pouvais. Parce que mon père, pour de pareils artifices, se coupe de sa famille. C’est comme s’il oubliait que nous existions. Pour parler scientifiquement, « il rejette toute stimulation extérieure à l’univers qu’il s’est crée»… C’est savant comme expression, n’est-ce pas ? En tout cas, ce n’est pas dans les lectures de papa que j’ai eu l’occasion de puiser ce terme…

Ma mère, quant à elle, serait prête à tout pour obtenir la considération de son supérieur. Par conséquent, elle est littéralement obnubilée par son travail, et même si je sais l’affection qu’elle me porte, je ne peux m’empêcher de penser qu’elle me néglige pour quelque chose de moins fiable bien qu’important, pour quelque chose qu’elle peut perdre à tout moment… Quant elle ne travaille pas à son entreprise, les contraintes domestiques la submergent. Submerger ?… je crains que le mot ne soit trop fort. Bien que ses moments avec moi soient rares, même très rares, j’ai souvent l’impression qu’avec moi, elle s’ennuie. Comme si je ne pouvais rien comprendre, comme si j’étais l’ignorance personnifiée. Quand je tente d’élucider le mystère, de savoir pourquoi je ne reçois pas l’attention dont j’ai besoin, et quelles raisons exactes les motive à agir ainsi et à ne pas simplement prendre parfois le temps de vivre, les mots que je redoutais refont leur intrusion, comme un cheveu sur la soupe. L’engrenage s’enclenche de nouveau. C’est un véritable manège infernal, qui tourne, tourne, tourne…

«  Ma Chérie, tu ne pourrais pas comprendre, tu verras quand tu seras adulte »

 

Je crois que ce concept autour du mot « adulte » est à la mode. Mais après tout, qu’est-ce qu’un mot ? Juste un assemblage de lettres. A-D-U-L-T-E… Je trouve ce mot très laid. En plus ça sonne mal. Et la fausse promesse qui gravite autour est probablement bien plus absurde. Cette promesse, c'est celle de la reconnaissance en société, et de l’apogée en matière d’évolution personnelle. Imaginez, après des années passées à vous vautrer dans les méandres tortueux de la jeunesse qui vous font plonger au plus profond de vos doutes et votre mal-être… Vient le moment soudain de la salvation, la révélation divine ! Tout s’arrange soudain ! Enfin la vie à deux, les enfants… la stabilité ! Le bonheur quoi.

Oui, enfin, le Bonheur avec un grand « B » même… Et moi, je me marre. Pourtant croyez-moi, c’est très en vogue en ce moment. Qui peut prétendre n’avoir jamais entendu au moins une fois dans sa vie la célèbre phrase : «  Oui mais moi, à ton âge, j’étais perdue aussi ! ». Ah oui c’est vrai, excusez-moi j’avais oublié. Quelle pourriture, cette adolescence !

 C’est sûr que l’âge adulte, c’est résolument mieux…Que de points positifs ! C'est sûr qu'absolument tout le monde prétend à ce confortable petit avenir "progéniture/grande-maison/Vie-de-famille-et-on-oublie-le-fou-rythme-de-notre-jeunesse"... Et puis non seulement certains se battent encore avec leurs vieux démons («  adolescents », bien évidemment !) qui ne les ont pas quittés et tentent toujours de colmater tant bien que mal certaines failles personnelles particulièrement tenaces, mais viennent en plus s’ajouter à cela tout un tas de réjouissances propre à cette « nouvelle maturité », à cet acquis excitant de responsabilité et de statut.  Vous désirez des exemples ?  Si je vous dis « problèmes financiers », « malaise au travail », « poids des tabous », «préoccupation permanente vis-à-vis de l’argent et du statut social », « corruption », « manque de temps pour vivre » (et donc dissimulation, déni de soi dans cette frénésie), tombez-vous des nues ? Vous sentez-vous en terrain inconnu… Cela vous parle, n’est ce pas ? Et vous épanouissez vous réellement là dedans... ? N’est-ce pas plutôt un moyen de vous cacher ? Eh oh ! Répondrez-vous à mes questions ?!

 

Vous ne m’entendez pas, c’est cela ?... Haha. Que je suis sotte!

 

… Et dire qu’inconsciemment on nous fait miroiter des illusions baveuses, et dire qu’on nous assure que dès que l’on sera plus grand, tout s’éclairera soudainement, qu’on sera capable de se rendre compte, comme illuminés par une soudaine grâce venue de je-ne-sais-où…On ne nous précise pas que rien n'est jamais acquis, et souvent, on s'aperçoit de cela en tombant de haut...Alors ouvrir les yeux, oui, mais à quel prix ? Ne serait-il pas plus judicieux de garder les yeux bandés et de rester dans l’inexact ? Je sais, je ne suis pas objective, et vous me certifierez, j'en suis certaine, qu’un regard d’enfant ne perçoit pas clairement toutes ces choses là…mais rien ne m’empêche de constater les dégâts, voyez-vous… Je contemple seulement avec amertume le reflet grisâtre que "le monde des grands" me renvoie, bien loin de la flamboyance originelle que j'en espérais… J'ai été beaucoup trop naïve.

 

Il faut dire qu'à chacune de mes questions, Maman répète toujours sa même affirmation bateau: « Ce serait trop long à t'expliquer. Je n'ai pas le temps! » Alors forcément, pour obtenir mes réponses, je suis forcée de réfléchir moi-même. Je ne dis pas que c'est mal, loin de moi cette pensée, je dis seulement qu'à mon stade... Ca dépasse l'entendement.


D’ailleurs, quelle réponse exceptionnelle maman me donne ! Quelle attention époustouflante ! Quel souci d’autrui ! Ca ne fait plus aucun doute, elle est une vraie spécialiste des relations humaines !

 Malheureusement, il faut le dire : bien plus d’individus qu’on peut le croire ont recours à cette méthode humiliante de la « facilité explicative ». Mais personne ne s’avoue réellement que derrière ces dires « expéditifs », faciles et faussement censés, on camoufle une ignorance évidente. Et une difficulté à exprimer simplement ce que l'on pense.

Pire encore...! On dirait que mes parents ont oublié le sens du mot "cogiter"... comme si leur vie active les avait lobotomisés radicalement! Je ne remet aucunement en cause le travail, mais... Mes parents s'y noient. Ils ne sortent plus la panoplie d’artifices fabuleux de la pensée, par peur de se perdre dans des  raisonnements noueux et insensés…Mais sans se hasarder vers la complexité, sans chercher à résoudre les problèmes épineux... On n'apprend rien. Et honteux, on n’ose pas dévoiler notre ingratitude. Alors on la dissimule sous l’élégant masque du secret. Solution facile ! Inutile cependant de vous préciser qu’il ne faut absolument pas que la porcelaine ne se brise…

Et que dire de l'inconditionnel: «Je n'ai pas le temps "!

Réplique légendaire, fulgurante, classique indémodable des géniteurs en manque de réponses, sauveuse intemporelle des parents incultes en détresse et surtout… en  manque de temps et de raisons valables ! Dans notre toute sainte Société sans faille, on essaie à tout prix de nous faire avaler le contraire, de nous faire accepter le fait qu’on est entendus comme il se doit. De nous persuader que nous sommes trop exigeants et égoïstes. Quelquefois, ceci se révèle faux. On fait croire que l’enfant est roi, mais ce n’est pas toujours le cas. Matériellement, je peux le concevoir sans peine, on croule tous plus ou moins sous les biens. Mais en ce qui concerne le contact humain, l’écoute, l’échange et le don de soi… l’ombre au tableau est bien présente. Je dirais même qu’elle croit de jour en jour, nourrie de nos silences, de nos maladresses et de nos malaises. Mais on se fiche de tout cela, et on revêt le joli masque bien solide de la compensation financière pour assurer le bien être du petit protégé, grâce à la cage toute dorée du moindre désir assouvi, à l’instar d’un besoin d’attention et d’une curiosité que certains ne parviennent pas toujours à satisfaire, utilisant le trop jeune âge d’un être pour zapper la question qui fait mal, prétexte terriblement dévalorisant, en soi. Pour peu que l’on utilise les bons mots, tout le monde PEUT comprendre. Seulement, PERSONNE ne prend le temps de vivre. Surtout pas papa et maman, d'ailleurs. Même quand ils ne font rien, ils me disent toujours qu'ils n'ont "pas le temps". Il est quand même étonnant, ce "Monsieur le Temps qui passe"! Il est toujours là, il constitue nos journées, et pourtant personne ne l'a jamais! Que c'est étrange tout ça!

...

 

Inutile de dire que s’il y’a des rois dans ce monde, ce ne sont certainement pas les enfants. En revanche, les prophètes de la mauvaise foi et les menteurs ont tous une belle et grande couronne...

Vous voyez, je m’appelle Sylwia. A bien y réfléchir, j'aurais mieux fait de m'appeller "Désenchantement".

Et puisqu'on parle de moi, je vous avouerai que je n’ai que 11 ans et demi. Beaucoup prétendent que c’est « la préadolescence» «  le début des ennuis »… Pourtant, hors du sacro-saint cocon familial, on me répète souvent que je suis très mature pour mon âge…Un peu trop, même. Que je m’exprime d’une manière inhabituelle, voire étonnante, et j’ai même entendu certaines personnes tès intéressantes certifier que cela me poserait peut-être des problèmes dans ma vie future. Que préfèreraient-ils à la fin ? Que je joue le rôle de quelqu’un que je ne suis pas ? (Et puis tiens, j'aurais bien voulu, à ce moment là, leur expliquer que j’avais des oreilles et qu’ils pouvaient garder de telles remarques pour eux plutôt que de me miner le moral inutilement… Je n’ai seulement pas souhaité prendre le risque de me heurter une fois de plus à l’indélicatesse et à la bêtise chronique, qui semblent être les fléaux majeurs de notre époque, et me suis simplement contentée de leur opposer un silence évocateur.)  En tout cas, j’ai mal. Mal a mon cerveau ! Je voudrais bien qu’on me le répare, pour me le rendre intact. A mon âge, n’est-ce pas malheureux ?

Toujours est-il que finalement, mes parents ont fini par s’apercevoir que ma chère télévision était en panne. « Mieux vaut tard que jamais », avez-vous dit ? A cela, je réponds : méfiez-vous… Car je suis persuadée que vous aurez bientôt la preuve que les bons vieux dictons ne sont pas toujours de bon conseil ! Il faut dire qu’elle est vraiment dans un état déplorable…Ils auraient du écouter ce que je disais, on aurait peut-être pu la sauver tant qu’on le pouvait encore… D’ailleurs ils prétendent avoir tout mis en œuvre pour me sortir de là. Encore une fois, permettez-moi de remettre en cause cette « vérité implacable » : ils sont à la maison toute la semaine, et pourtant, ils n’ont jamais pris la peine de régler le problème que je leur exposais depuis des jours. Ils déclaraient toujours «  Plus tard, plus tard, ça ne presse pas, il faut toujours que tu dramatises tout, décidément ! » d’une voix molle et lasse, à en faire crever un mort ! Ceci a d’ailleurs toujours fait blêmir mon grand frère, une personne humainement exceptionnelle. Ce jeune médecin consciencieux (qui l’est devenu plus par amour du salaire que par la passion du métier…) ne perd pas une occasion de rabaisser brutalement certains de ses clients atteints des maux les plus incurables, démolissant leur forteresse morale érigée à grand coup de volonté, en prétendant que s’ils en sont là aujourd’hui, c’est, selon ses propres dires, « un peu de leur faute », puisqu’ils n’avaient qu’à prendre le problème à bras le corps dès lors que les premiers symptômes se faisaient sentir. A ses yeux, personne d’autre que lui n’a droit à l’erreur (et ce dans tous les domaines, d’ailleurs…) et celui qui ne sait pas prendre un problème en charge pile au moment idéal n’est qu’un incapable. Pour lui, tout est prévisible, et il ne faut jamais rien remettre au lendemain. Ce garçon est d’une indulgence et d’une ouverture d’esprit que j’admire. Il est, de plus, doté d’une délicatesse innée, d’ailleurs j’envie son tact, sa compassion et sa diplomatie…

 Maintenant, si une chose est sûre pour « le fameux téléviseur de la discorde », c’est qu’il est trop tard pour les remords. C’est peine perdue à présent. Mes « illustres procréateurs » ont eu tort. Mais ils sont tellement fiers et orgueilleux qu’ils n’ont pas voulu admettre qu’avoir la science infuse n’est pas quelque chose d’humain. Rester sur un échec, pour eux, c’est la moitié d’une vie qui s’effondre. Quitte à faire n’importe quoi, il faut tenter le tout pour le tout... Et ceci est valable pour le moindre désagrément qui ponctue une existence, du petit déboire quotidien à la catastrophe intersidérale…  C’est pourquoi papa et maman ont souhaité faire les bricoleurs du Dimanche, aujourd’hui. Papa avait vu sur  son fabuleux «  psychologie plus magazine », que la nouvelle tendance pour non seulement réparer en urgence les téléviseurs défaillants et faire des économies était de tout réparer soi-même, plutôt que de faire appel à un spécialiste. Connaissant la haute richesse intellectuelle des lectures de mon géniteur, et livrant un indice de confiance sans borne à ce fabuleux fascicule, véritable bible du « rafistoleur professionnel » inutile de vous dire que je jubilais dans mon malheur, tout en prenant un plaisir sadique à me railler d’eux silencieusement ( voyez, les chiens ne font pas des chats, j’ai hérité d’une partie de leur mauvais caractère…), et en me répétant que pour le coup, on touchait totalement le fond…


Comme je l’avais prévu, tous les efforts échouèrent.  Les tentatives étaient vaines. Et l’idée de laisser un individu plus compétent prendre le problème en main leur traversa l’esprit, un jour, comme une fulguration soudaine, une grâce divine, presque. Une illumination ! Mais cet éclair de génie ne dura pas. C’était soit disant «  trop cher » en comparaison des progrès effectués et des résultats obtenus. Ils se sont contentés de m’annoncer que l’on stoppait tout un beau matin, sans même prendre le temps de me concerter et de me demander ce quel était mon avis sur la question, prétendant que l’on pourrait s’en sortir seuls. Je savais pertinemment que mes parents avaient un côté grippe-sou qui réapparaissait de temps à autres et quand ça les arrangeait. Moi, ça me dérangeait toujours autant...

 

« Et voilà où on en arrive ! On triture les boutons, un peu n’importe comment, pour que tout rentre dans l’ordre… pendant quelques jours… On essaie plusieurs méthodes…

Mais finalement, on n’y parvient toujours pas, on s’est un peu surestimé. Et tout se complique d’avantage ! Tout le monde n’est pas électricien de profession ! Si si, vous savez, ces sympathiques chirurgiens savants du progrès technique, pour qui les tubes cathodiques et autres câbles électriques n’ont aucun secret, ces as de la soudure, de la prise péritel… et des connexions en tout genres, aussi… Des connexions en tous genres… DES CONNEXIONS EN TOUT GENRES ! Et même des plus originales… c’est dire…

Pourtant, cette fois, j’imagine que même leurs judicieux services n’auraient pas été suffisants…J’en suis même quasiment persuadée ! Vous avez fait un tel gâchis que vous ne règlerez pas le problème maintenant, car on ne peut plus rien faire, et vous vous mordrez les doigts devant l’irréfutable évidence qu’il faut parfois porter un minimum d’attention à ce qui vous entoure ! »

Silence intégral. J’y étais allée un peu fort. Je n’aurais jamais du vider mon sac. Tout ce que je pensais depuis des années venait de sortir. Ma voix et ma colère m’avaient trahi, et cette fois, je n’ai pas su contenir le bouillonnement excessif de mes pensées. Je crois que j’aurais dû…

 En face de moi tout semblait figé. J’étais le seul élément vivant sur un cliché mort. Deux moues fermées et inexpressives me scrutaient de leurs grands yeux vides. Deux immenses poupées de cire, défaites et défigurées : Mon père bouche bée, et ma mère ébahie. Je n’aimais plus du tout ces visages là, qui m’étaient pourtant familiers quelques minutes auparavant… Ils m’inquiétaient et m’indisposaient profondément. C’est comme s’ils grimaçaient, comme si la colère leur avait ôté tout contrôle. C’est pourquoi, si je l’avais pu, si j’en avais eu la force… Je serais partie ! LOIN. LOIN. TRES LOIN. Prendre mes jambes à mon cou et courir, courir, COURIR, Quitte a sentir mon sang, bouillant et dévastateur, battre à me rompre les veines, quitte à me déchirer les muscles, quitte à trébucher et m’ouvrir les mains, quitte à me déchiqueter la gorge et abasourdir ma poitrine de hurlements terrifiants, quitte à finir six pieds sous terre, épuisée et livide… MAIS M’EN ALLER !!

Puis, suite à ces instants qui me semblèrent une éternité, ma mère intervint. J’aurais voulu effacer toutes ces paroles soudaines mais il était bien trop tard. Elle vomit des paroles que j’encaissai difficilement, que j’avalai avec douleur. Jamais je n’eus éprouvé pareille répulsion auparavant. Aussi nasillarde et étranglée que fut sa voix, elle trouva une force terriblement efficace : celle de retranscrire sa colère à travers une autorité sèche et cinglante que j’ignorais jusqu’alors de sa part. Elle me murmura dans un souffle des paroles envenimées, sur un ton des plus cyniques et provocateur qui me fit véritablement frissonner de dégoût.

Eh bien, dis-moi, quel talent, jeune fille ! Tu es devin ? Médium ? Peut-être as-tu besoin d’une boule de cristal ? As-tu la science infuse ? Tu veux toujours tout savoir mieux que les autres, n'est-ce pas? Tu as toutes les connaissances du monde, et à toi toute seule tu regroupes les talents de la Terre entière, évidemment... Ne te mêle pas de tout ça, Mademoiselle «  je-sais-tout » et laisse faire les grands. On fait ce que l’on peut pour toi, et c’est ainsi que tu nous es reconnaissante ? Vraiment, c’est à se demander !

Je me suis toujours demandée si maman n'avait pas plus de culot et de mauvaise foi que moi, mais là, ça ne faisait plus aucun doute. Dans ces deux domaines, elle excellait démesurément.

Je restai éberluée.

 

Puis, un choc. Un choc terrible dans mon cerveau, et dans mon cœur aussi.

Ca y est, je le sens…Mon cher téléviseur reçoit le coup fatal.

 

Dès lors, l’écran se brouille, les images sautent et s’entrecoupent, les couleurs vives dansent, se mélangent, les sons se distordent, rien ne va plus ! Tout s’affole là dedans, si bien que l’on pourrait croire que cette boîte à bizarreries animées va exploser sous la pression excessive de tous ces clichés, de toutes ces séquences, de ces enregistrements plus ou moins bruyants et illusoires. Tout comme si cette masse grouillante de choses vivantes diverses, agglutinée dans cette minuscule cage de plastique métallisé suffoquait, étouffée sous les câbles, dans ces profondeurs artificielles qui leur servent d’unique domicile. Comme si tout ce petit monde manifestait sa révolte en organisant un violent coup de force dont le fameux téléviseur ne reviendrait pas ! Une énorme farce monochrome filmée qui tourne à la tragédie. Et puis, soudain, tout disparaît dans une infâme bouillie de poussière visuelle noire et blanche, avec un crépitement  à vous en faire tressaillir l’ouïe et hurler les tympans. Que faire, alors ? Une seule et unique chose : remettre de l’ordre dans ce qui cloche. Combattre tous ces monstres, ces parasites électroniques, ces fantômes nerveux qui endommagent les réseaux et entrainent la surchauffe… Lutter, oui, mais TOUTE SEULE !

Car voilà que mes parents, ces pseudos- supermans incroyables, exposés violemment devant ma déchéance explosive, sont en proie à leur panique. Oui, pas de doute, ils sont spectateurs de l’effroyable spectacle qu’ils ont supervisé à leur insu. Ils n’ont pas réellement conscience de ce qui se déroule, ils ne comprennent pas. Tireront-ils des conclusions trop hâtives sur ce qu’ils ont vu ? Je l’ignore et pour tout dire, je m’en moque pour le moment. Ca bouillonne, ça palpite, ça tiraille, ça souffle et ça siffle ! C’est effroyable… J’AI PEUR ! SI PEUR !

Une accalmie, passagère. Le chaos m’offre quelques minutes de répit, et se délecte de sa victoire. Nous sommes à présent deux dans mon corps, et tout compte fait, nous nous complétons admirablement : Moi et le vide.


 La plus lourde des quiétudes me gagne maintenant toute entière : celle qui précède le fracas. Vous savez, « Le calme avant la tempête »…

Soudain, le signal se trouble. Un surplus de ce grain poivre et sel poussiéreux envahit de plus belle mon écran ! Voilà une succession d’images en noir et blanc qui défilent vertigineusement devant mes yeux étonnés et exorbités, une valse folle au rythme insoutenable se donne dans ma tête, mais je ne suis pas le rythme… Je suis épuisée… La télévision devient folle, un signal électrique intense parcourt les câbles surchargés ! Satanée entité électrique ! Pars, maudit frisson sur-atomisé ! PARS !

Mais quelque chose me chagrinait encore, et bien d’avantage. Je me doutais étrangement que je n’étais pas au bout de mes souffrances… Car je ressentais au plus profond une tension pernicieuse, latente, tapie dans l’ombre visqueuse de mes neurones atrophiés, qui attendait le moment idéal pour fournir la décharge ultime, nécessaire pour tout foudroyer.

Je le savais ! Le vicieux court-circuit, inconsciemment alimenté par mes propres géniteurs grandissait, et attendait depuis longtemps d’atteindre l’intensité idéale pour me faire disjoncter … J’avais l’intime conviction que le moment s’approchait dangereusement.

Et c’était là le cas de le dire : « la vérité sort de la bouche des enfants. »

«  Allez, un dernier effort, on est sur le point de faire sauter tous les fusibles !»

 

- Hors de question ! Vous n’aurez pas ma peau sans perdre la votre ! Vous me faites mal, trop mal ! Il est temps pour vous de sortir ! Sales terroristes mentaux, va !

 Puis une voix déformée et venant de nulle part résonna dans les tréfonds de mon crâne. C’était singulier. Comme perdus dans un brouillard épais et confus, les syllabes semblaient se décrocher, et les sons disparaître en un écho grave et bondissant.

« Tu nous contiens depuis trop longtemps déjà…Nous sommes le reflet de tes angoisses, de tes déceptions et de tes frustrations… Tes démons intérieurs, vois-tu ? Tu as déjà enduré plus de choses que tu ne le pouvais… Dans ta tête, l’écran qui projette en permanence tes souvenirs  ne supporte plus le flux trop important de tes ressentiments, et tout a lâché à l’intérieur… Mon enfant, ton téléviseur mental est grillé. Il n’a pas réussi à suivre cette cadence effrénée. Une telle situation n’aurait pu durer éternellement, et tu le savais pertinemment. Ne nous mens pas. Pas à nous. Nous savons tout. Nous avons pris le contrôle, c’est sans espoir. Laisse-toi aller dans la folie, afin que nous écourtions ton martyre. Tu n’auras plus jamais conscience de rien, ainsi. »

 

-Jamais !

« Adieu, Sylwia ! »

….

 

Puis le noir sur l’écran. Les dernières poussières éparses s’éparpillent parmi les câbles rompus.

Un bruit sourd se fit soudain entendre, comme si on eût heurté le sol avec quelque chose de très lourd…

 

Ce son, ce n’était rien. Non, rien de bien grave… !

 Juste celui d’un être qui a perdu sa raison et sa tête. Juste celui d’un corps tombé sur le plancher, qui finira par « reprendre ses esprits »... Enfin, physiquement parlant.

 

 

 

Emilie

 

 


Commentaires

 

1. aurore  le 13-08-2010 à 10:11:28

Belle écriture, certainement pas celle d'une gamine de 11 ans...
c'est un roman ?
bonne continuation !

2. lapinbleu2  le 13-08-2010 à 12:16:50  (site)

hello !!
un vrai roman que tu nous a écrit.. lollllll..
bienvenue parmi nous et longue vie à ton blog..
bonne aprem..

AnNiVeRsAiRe SuR tOn BlOg.... ****
Pour cela, laisse moi ta dàte d'anniversaire, celles de tes enfants, petits enfants, époux, épouse.. Et aussi ta date d'anniversaire de mariage en commentaire sur mon blog avec bien sùr ton adresse de blog.... Tout cela si tu le souhaites bien sùr..

Je m'occupe du reste.. Hi.. Hi.. Hi.. Tu le regretteras pas.. C'est vraiment marrant.. Et trés convivial..
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A diffuser parmi tes contacts, famille, amis et connaissances si tu peux, mème sils n'ont pas de blog.... Ils pourront au moins lire l'histoire du jour pour bien commencer la journée.... Merci !!!! ****

3. Emilie (Instant-hors-espace-temps)  le 14-08-2010 à 07:44:39

Bonjour!
Pour répondre à votre question Aurore, c'est en fait simplement un petit texte que j'ai écrit ( et qui, je dois bien l'avouer, n'a pas de réelle structure...).
Ceci dit, écrire un roman me tenterait fortement... Même si pour l'instant, force m'est d'avouer que le temps me fait un peu défaut!
En tout cas, merci beaucoup pour vos encouragements et pour votre accueil!

édité le 14-08-2010 à 09:45:53
édité le 14-08-2010 à 09:46:26

 
 
 
 

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