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Titre du blog : Instant Hors Espace Temps
Auteur : Instant-hors-espace-temps
Date de création : 13-08-2010
 
posté le 14-08-2010 à 12:06:17

L'homme Nicotine

 

 

Un soir de Juillet, 1 h00 au compteur. Monsieur Le Jour s’est enfui comme un voleur. Son élégante complice a débarqué. Robe de velours, paillettes et venin, la beauté fatale et dramatique d'une étoile... du cinéma. Mais derrière ce charisme troublant, rien que deux voyous. Deux malfrats qui se relaient, un couple d'irréductibles silencieux. Au commencement, c'est LUI. Ce mystérieux homme blond, parfait illusioniste qui nous charme, subtilise nos sourires et s'enfuit. Puis c'est ELLE qui prend le relais, l'étrange demoiselle vêtue de noir, c'est elle qui s'infiltre chez nous à pas feutrés et décompte de ses élégantes mains gantées les instants restant avant son règne définitif. Des Bonnie & Clyde modernes inversés qui dérobent notre éternité à travers leur rituel, nous rappellant combien nous sommes mortels, et à quel point 24 heures peuvent nous rapprocher de la terre.

Fenêtre grande ouverte sur rue.

Le décor habituel : Lueurs nettes des enseignes commerciales et couleurs antinaturelles d’un monde verre, béton et fumée. Vrombissement cadencés de quelques mobiles carcasses d’acier qui se meuvent péniblement, troublant d’une rumeur régulière la semi-léthargie nocturne du quartier. Spectacle routinier du cœur urbain en somme, qui a ralenti son rythme et se prépare au sommeil. Il ne souffre pas d’insomnies, lui, le chanceux. Mais moi, Morphée n’est pas encore venue me trouver. D’ailleurs, je crois que ce soir, elle ne viendra pas. Elle a dû m’oublier, et est probablement allée bercer au creux de ses tièdes bras d’opale d’autres corps plus épuisés que le mien. Tant pis alors… Je laisserai les secondes et les minutes faire l’amour entre elles. Histoire de voir les heures bourgeonner, mourir et se succéder…

 

 Me voilà assise sur le froid rebord de la frontière, entre le calme plat de la pièce chargé de lourds soupirs et la vie mise en veille au dehors. C’est comme si je devenais à mon insu une partie du décor. D’ailleurs c’est troublant. Tout ici semble coincé entre la cloison étroite d’une existence « mise sur pause » et celle du néant. Mon corps, bien qu’englué dans une attente visqueuse et figé dans ce corridor inconfortable, s’est finalement résigné, demeurant suspendu aux lourdes ficelles d’un temps ralenti, mis sous anxiolytiques, tout démuni et angoissé qu’il était. On aurait cru que tout ce qui m’entourait avait été dépossédé de sa substance. Un peu comme si quelqu’un avait aspiré mon souffle pour ne laisser que la matière. Pour me rendre statue. Même mon chat se tenait là, immobile et stoïque, les paupières mi closes…

C’est ça, je suis l’objet d’une blague du temps. A croire qu’il choisit ses moments… Mais au bout d’un moment qui peut prétendre échapper au vide ? Comment se reconstruire, ployé sous le tas de ruines d’un terrain désormais vague, comment renaître sur un sol en perpétuelle déconstruction ? Que sommes-nous, sinon des fleurs fanées qui s’essoufflent dans l’asphalte ?

Comment, dès lors, prétendre à un futur quelconque?

 

D’ailleurs, je voudrais que mes semblables sachent quel danger les guette, j’aimerais leur faire part de ma découverte pour les sortir de l’illusion…On fait toujours tant l’éloge de la vérité… Ce serait une occasion de vérifier une fois pour toutes si elle est toujours bonne à dire!

 

Tiens, c’est décidé. Si je le pouvais, je prendrais un mégaphone et hurlerais à plein poumons : « Oyez oyez, braves gens ! Réveillez-vous, on va droit dans le mur ! »

Où est le mal là dedans? J’informerais simplement la jeunesse qu’elle n’a pas d’avenir. Juste comme ça, sur un coup de tête.

Pour que l’on s’y attende. Pour se faire à l’idée.

Et peut-être histoire… de réécrire notre histoire. Tant qu’il en est encore temps.

 

D’ailleurs, en ce qui me concerne, je ne doute pas seulement de notre avenir à tous, mais aussi de mon présent. Je me sens si pétrifiée, que j’ignore même si j’existe encore… Résignée, renfrognée, morose. Bulle de déprime dans la caboche. Plus de ressentiment, plus de bonheur, plus d’envie, plus rien du tout…

 

Comme si elle avait entendu mes revendications silencieuses, une brise légère vint titiller mes sens engourdis. Osant pénétrer toute cette pesante statique, elle réinsuffla le mouvement à ces minutes de marbre. Elle me frôlait, caressait doucement mon corps brindille, et pourtant, j’eus l’impression qu’elle me brisait les os, battait le sang dans mes veines et glaçait mes nerfs. Je ne doutais pas de sa bienveillance… Néanmoins, mon retour à moi-même fut douloureux. Mais comment lui en vouloir… ? La pauvre, elle n’avait pas vu combien j’avais mal, l'angélique petite bouffée légère, elle voulait seulement jouer avec moi et me redonner le sourire... Peut-être pensait-elle que ce mal n'était qu'un caprice...? 

 

 Et elle poursuivit son parcours. Magique et intrépide, elle s’engouffra doucement dans mon salon pour ranimer tout ce qu’elle touchait de son éther sucré, gonflant de son chaud soupir si caractéristique, évocateur des lourdes nuits d’été, les deux voiles pendues à leur potence de fer forgé qui occultaient la transparence indiscrète de mes vitres. Captivée par le spectacle, je me surpris à regarder fixement les ondulations gracieuses du tissu pendant de longs instants…

 

D’ailleurs, c’est incroyable. Ce même flottement, je le ressens toujours. Mon cœur tangue, encore et encore, incessamment. Les océans en moi sont salis et salés. Je les sens se découper en vagues anguleuses, m’entraînant dans un balancement solennel, dans un mouvement de chagrin. Ils me donnent la nausée et le vertige. J’ai le mal de toi comme on a le mal de mer.

Pourtant, je n’ai pas la force de détourner mon regard… Ni la volonté, d’ailleurs.

 

 Je t’aime ! Tu comprends, à la fin ?

 Mais là… je ne veux plus. TU M’EPUISES. Tu le sais, ça ? La mascarade a bien trop duré.

 J’en peux plus de courir après des « peut-être », je suis fatiguée de mes incertitudes et de ces doutes que tu laisses planer. Tout ce que je veux, c’est faire disparaître de mon alphabet les lettres de ton nom. C’est tout ce que je désire aujourd’hui. Pour pouvoir passer à quelque chose de plus constructif que des sanglots, et éradiquer cette fichue obsession envahissante qui étouffe mes envies et mon énergie.

 

Dommage. Pour l’instant, je ne suis pas guérie de toi. C’est une chair vide et désarmée que je traîne, et qui s’écroule avec indolence dans le sofa.

Masse flasque, lamentable poids mort sur l’épaisseur moelleuse qui s’affaisse peu à peu, je tente de me faire avaler par ce sable mouvant. Mon désir le plus fou à cet instant précis ? Me confondre au cuir souple pour ne plus avoir conscience de l’espace-temps qui s’étrique et se distord tout autour en un mouvement vertigineux et continu, plus arrogant que jamais dans son mutisme imbécile et annonciateur de l’impitoyable vacarme du rien qui me pend au nez. Au final, cette perspective me fait même miroiter quelque chose de honteusement plaisant. L’espoir de disparaître, ne serait-ce que symboliquement.

Disparaître pour ne plus rien sentir. Plus de passions. Le bonheur d’une ataraxie, d’une VRAIE, sans vague à l’âme aucun. M’effacer pour ne plus avoir peur, et oublier qu’en ton absence, je ne fais plus sens. Que sans toi, je ne fais plus sens du tout.

 

 

Dans l’état actuel des choses, je crois que j’aurais pu passer des heures à me morfondre, sans rien faire, et me laisser aller pitoyablement, j’aurais pu plonger à corps-perdu dans le malaise en envisageant toutes les possibles « surprises » que me réserveraient cet avenir fumeux sans toi, englouti sous des débris de pierre et enterré dans le macadam huileux. Mais… je peux aussi laisser faire le temps. Je peux prendre un malin plaisir à enrober mon amour dans la granulosité dégueulasse de ce goudron grossier, puis le laisser pourrir pour voir ce qu’il en advient. Après tout, à défaut de s’étendre, il finirait bien par s’éteindre. Oui, je pourrais bien m’adonner à cet « acte barbare », pour soigner le mal par le mal, et voir si ladite méthode tient ses promesses. Mais rien n’est sûr. Et dès lors, à quoi bon, si c’est pour que subsiste sur cet infâme sol noir luisant la trace insistante d’un chewing-gum prémâché, ruminé cent fois, qui a fini craché avec dégout à même le sol, laissant derrière lui son sillon sale, collant et vaguement élastique des années durant ? A quoi bon remuer le couteau dans la plaie si le résultat n’est pas garanti, et si le risque de ressortir dans un bien pire état est important ? C’est quitte ou double.


Consternant, n’est-ce pas ? Mais c’est ainsi, et après tout, c’est « marche ou crève ». Je me pollue pour tout détruire. Ne me blâmez pas ! Tant bien que mal, j’essaie de me sortir de là. Il faut parfois prendre des risques, savoir être radical.

D’une manière ou d’une autre, il me faut oublier tout ça. Et même plus… Passer l’éponge, tirer un trait, tourner la page, en finir avec cette image…Tout ce que vous voudrez, mais oublier, un tant soit peu. M’occuper l’esprit, de me divertir… M’abrutir même !

 

Heureusement, pour ça, j’ai trouvé la solution : La super-héroïne Télévision est là pour m’assommer devant ses images animées pleines d’une lueur épileptique et atrophier mes neurones. Quelques heures devant elle et je deviens végétal. Un vrai légume, un authentique ! Quel intérêt, me direz-vous ? Eh bien voilà, j’avoue, je me voue à son pouvoir hypnotique pour me réfugier ailleurs que dans ma peau et faire taire mes angoisses. Pour me fuir à moi-même, en somme. Ah ! Que ferai-je sans elle ?

Louez avec moi le temps béni de l’ère médiatique qui nous divertit de notre enfer intérieur. Rendez avec moi hommage à l’entité des temps modernes, la divine « Télévision » !

 

Mais vous savez, cette fois, je me suis rendue compte qu’elle n’est pas toute puissante. Croyez-en mon expérience.

Car il est des afflictions (bénignes certes, mais récurrentes        … !) qui la surpassent et rendent son pouvoir parfaitement transparent. Reléguée au second plan, au rang de simple « spectateur », ses effets s’effacent alors au profit de ces satanées pensées tenaces qui martèlent notre cerveau. Si l’aura de l’incroyable cube magnétique est immense aujourd’hui encore dans nos sociétés, et si son influence croît de jour en jour, elle ne peut cependant lutter contre le poids de ce qui nous hante au plus profond… Je pensais oublier un peu grâce à elle, ce soir, me laisser avaler dans sa spirale de couleurs, de sons et de mouvements… Mais ça n’a pas fonctionné. Tiens, le remède magique est finalement bien imparfait…

C’est pourquoi ce soir, je passe un appel désespéré.

« Jeune fille troque froideur lumineuse contre un peu de chaleur…

Echange Anesthésie Mécanique Tapageuse contre Intime Réconfort Humain »

(Mais… pas n’importe lequel…)

 

Comment ça ? C’est impossible ? Quel rabat-joie !

 

Tant pis, je me résigne. Et tout compte fait, pourquoi diable aurais-je besoin de dépendre de quelqu’un ?

Tiens, un célèbre adage pour la route. « On n’est jamais si bien servi que par soi-même »

Compris ! On ne m’y reprendra pas deux fois ! Si je ne peux déceler ni transport dans l’intensité brune de ton regard perçant,  ni chaleur dans ta voix ou au creux de ton corps, alors je la ferai naître du bout de mes doigts. J’ai décidé de m’en foutre.

Suffisent un cylindre de papier, un briquet, et cette substance au parfum miellé imprégnée d’une légère amertume, qui lorsqu’elle se consume, laisse son empreinte olfactive si spécifique sur ma peau et mes cheveux. Cette odeur, je la reconnaîtrais entre mille tant elle m’appelle et m’écœure à la fois. Je la hais et je l’adore, elle incommode mes narines mais fait vibrer mon cerveau et tourner ma tête.

Aucun respect pour moi-même ? Oh, Pardon. Je préfère abîmer mon corps plutôt que mon cerveau. Mourir est plus tentant que devenir fou. Oui, c’est faible, c’est lâche, ce n’est pas beau ! J’entends déjà l’écho de votre voix résonner dans ma tête, partisans de la morale, individus « parfaits » si bien-pensants qui connaissent tout mieux que tout le monde. Mais voilà, ça me regarde. J’ai pleinement conscience de ce que je fais : Je joue à ça pour faire passer le temps. Il paraît que c’est « le remède à tout », alors je veux bien vous croire… Tiens, je bois vos paroles, même. Ca fait du bien de tout accepter en bloc, et de ne pas faire passer une idée reçue par l’épreuve de son jugement, de temps en temps. Je voulais me mettre en veille, mais je ne peux pas, ce n’est pas bon pour l’économie d’énergie. Alors j’arrête un moment, je fais une pause. Appuyez à nouveau sur le bouton quand ça sera un peu moins chaud là dedans, sinon ça ne tiendra pas longtemps.


Et hop ! Ca se rallume. Le moins que l’on puisse dire, c’est que mon répit aura été de courte durée. A l’évidence, mon autorité mollassonne ne suffit ni à clarifier les choses, ni à me faire entendre. Et vogue la galère ! C’est maintenant le moment du « Contre mea culpa ». Car après tout, si j’en suis là aujourd’hui c’est en partie de ta faute, ça crève les yeux ! Je suis passée d’un paroxysme à l’autre, j’ai connu tour à tour l’extase et l’horreur, le désespoir, la déception surtout. Voilà ce que ça donne, de trop titiller mes pauvres nerfs. T’es-tu bien amusé… ?

 

…Ou… (La voilà, la fameuse alternative qui vient signaler la fin du Contre mea culpa…)

 

Regrettes-tu de m’avoir fait mal à ton insu, en raison de ton silence et ta timidité ? T’en mords-tu les doigts aujourd’hui ? M’as-tu déjà oubliée… ? Mystère sur ce qu’il en est réellement.

 …Les sentiments humains sont si compliqués qu’il est normal que chacune de nos certitudes s’étiolent devant quelque chose d’aussi incertain et mouvant. Dès lors, difficile de ne pas s’acoquiner avec Madame la Paranoïa.

 

3 heures 30.

Brume en dedans. Tenter de revivre ou me laisser crever ? Active ou Passive ?

Il est impossible pour moi de clarifier mes idées, de prendre du recul sur la situation et de tenter de comprendre tes agissements. Surtout dans le capharnaüm intérieur que je me crée. Je crois que mon corps s’est découvert une vocation de « cendrier » Tout mon être est fait de fumée de cigarette. C’est d’ailleurs à travers cet âcre miasme gris sale que mon cerveau se complait et apprend à s’accomplir sans toi.

Pourtant, dans l’épaisseur chimique, sèche et suffocante, tout ressurgit. Ce vicieux brouillard que j’ai dans la tête occulte le moindre soupçon d’espoir qui pourrait subsister pour focaliser ma perception sur mon affliction affective. Il décuple mon obsession et déchaîne mon addiction, la dotant de surcroît d’un infâme pessimisme poisseux. De toute façon, la douleur disparaitra par la douleur. Mes souvenirs et ma palpitante peau moite imbibée de toi, toute agitée de spasmes car en manque de tes soupirs et de ton souffle seront bientôt imprégnés de l’odeur sèche et mordante du tabac froid. Demeureront seulement des bribes mortes de nous et un vague regret dénué de toute saveur, qui empesteront l’air de nos sentiments devenus si blafards et humides. Je consumerai nos rires et chacun de nos actes dans les cendres rougeoyantes de ma colère, pour que s’évanouisse l’envie que j’aie de toi et l’amour que je te porte. Tu sais, elles ne ratent (presque) jamais leur cible, ces cendres là. Car vicieux et impitoyables, les fatals bris brûlants savent comment raviver la douleur que j’ai enfoui à l’intérieur, pour tenter de mieux la réduire à néant. Je sens parfois leur ardente empreinte dévorer peu à peu les fragiles images déchirées et pâlies encore imprégnées de nos sueurs et de nos parfums que j’imaginais en vain et tentais  de constituer péniblement.

S’y substitue dès lors une odeur douceâtre de papier grillé, au bout de mes ongles et dans mon cœur cellophane…

 


Et un jour peut-être resteront seulement, comme des cicatrices monochromes, les vulgaires mégots poivre et sel, témoins poussiéreux de ma transformation, de ma cure « anti-toi » par autodestruction.

 

Je n’ai trouvé de meilleure alternative jusqu’à présent, que d’étouffer mon corps pour rendre muets mes peines et mes regrets. Je n’ai trouvé d’autre moyen que de m’étourdir avec cette âcre poussière pour anéantir la perception de ton parfum, et me débarrasser enfin de ce maudit fantasme olfactif qui m’obsède. Je n’ai trouvé d’autre solution que de perdre mon regard vide dans l’insignifiant ballet des fumerolles pour oublier les courbes de ton visage. Je n’ai trouvé d’autre choix que d’atrophier mes sens pour ne plus rien ressentir, ni douleur, ni espoir.

Jamais je ne me serais figuré que le syndrome du manque puisse être si intense. D’ailleurs, je crois que finalement rien n’y fait. Mon addiction personnelle a encore augmenté. J’aurais tout essayé.

 

Je vais m’overdoser, jusqu’à en être écœurée. M’overdoser de ce cylindre de papier « goût « Je m’abîme » ». M’overdoser de ces moments perdus pour accepter. Pour entrer dans ce coma réparateur, dans cette ivresse libératrice. M’overdoser pour te rendre, t’extraire enfin de moi.

M’overdoser de ma dépendance première, m’en rendre malade pour me forcer à me sevrer.

M’OVEDOSER DE TOI, mon amour d’homme-fumée, insaisissable et sensuel, à en avoir assez, à en éprouver une ivresse véritable.

 

Emilie